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Pages Françaises, 21. 1. 2015
Dans la période suivant immédiatement la chute du Mur de Berlin, l’opinion publique s'est focalisée avant tout sur cet événement unique que nous attendions depuis des décennies : la chute du régime communiste. Aujourd'hui, avec un quart de siècle de recul, il est devenu plus pertinent que jamais de faire le point sur l'ère post-communiste.
Il convient d’abord de mentionner que le communisme, qui fut l'un des systèmes les plus irrationnels, les plus oppressifs, les plus cruels et les plus inefficaces de l'histoire, s'est achevé relativement calmement. Le régime s'est effondré dans la plupart des pays d'Europe centrale et de l’Est et, en parallèle malgré un certain décalage, dans l'Union soviétique. Étonnamment, malgré les différences considérables entre les pays de l'ancien bloc soviétique, tous ont quitté le centralisme économique absolu du communisme. La tendance fut similaire dans tous les États, même si chaque pays était convaincu qu'il avait une solution différente.
Les changements de grande envergure qui se concrétisèrent dans les semaines qui suivirent l'automne 1989 nous apportèrent de nombreuses améliorations positives dont nous ne pouvions que rêver durant les longues décennies d'oppression et de négation des libertés. Aujourd'hui, plus personne ne peut nier ces changements positifs, pas même les critiques les plus hostiles envers le processus de transition postcommuniste. L'écrasante majorité de nos concitoyens confirme l'amélioration manifeste de leur vie suite à la chute du communisme.
Nous étions à ce moment emplis de joie et d'espérance, fascinés par nousmêmes et salués par de nombreux amis et sympathisants à travers le monde. Nous avons apprécié les hommages qui nous ont été rendus ainsi que notre acceptation rapide dans la communauté des nations libres.
Cependant, nous avons réalisé également que notre situation préalable n'était pas suffisamment comprise. Mon expérience me dit que la profondeur de l'absence de liberté, l'irrationalité du système socialiste, ainsi que l'étendue de l'oppression que nous avons vécues dans l'ère communiste, ont été largement sous-estimées. À l'inverse, notre compréhension du monde libre, duquel nous avions été coupés depuis longtemps, était bien plus élevée que ce qu'en pensait la majorité des gens à l’Ouest. Malgré les années de propagande et d'endoctrinement communistes nous en savions plus sur l’Ouest capitaliste et le monde non-communiste que ce que l’Ouest savait de nous-mêmes. Je crains que cette asymétrie de l'information ait survécu, même après 25 ans.
L’une des conséquences de la disparition rapide du communisme est que nous avons très rapidement cessé d’en parler et d'analyser ses stades d'évolution, son affaiblissement croissant, sa perte de substance et son atténuation progressive ainsi que sa démission complète et finale. Les seuls livres et études qui continuent d'être publiés portent principalement sur le communisme à l’origine, les périodes destructrices et violentes, l'ère des goulags jusque dans les années 1950, où, dans d'autres pays communistes, les citoyens étaient non seulement emprisonnés arbitrairement mais parfois soumis au travail forcé ou assassinés par l’État.
Il est sans aucun doute important de nous rappeler les cruautés et les atrocités perpétrées durant l'ère communiste et la qualité absolument criminelle des régimes qui l’ont mis en place, ainsi que de transmettre ces informations aux générations suivantes. Cependant, si nous ne comprenons pas les stades plus avancés et moins barbares du communisme, il sera non seulement difficile de comprendre la totalité du système, mais aussi de comprendre toutes les difficultés liées au passage à l'ère post-communiste, ainsi que la fin rapide et sans effusion de sang du système. Sans cette compréhension, nous ne serons pas outillés pour analyser ce qui se passe actuellement dans les pays post-communistes ainsi que dans les pays de l’Ouest.
Une analyse contemporaine sérieuse montrerait que le communisme s’est effondré de lui-même ; il n'a pas été vaincu de l’extérieur. Beaucoup à l’Ouest n'aiment pas cette interprétation et prétendent que le communisme a bien été vaincu. Or c'est loin d'être la vérité.
Je ne veux minimiser aucun événement ou mérite historique de l’Ouest, mais le fait est qu’il ne manquait qu'une goutte d'eau en 1989 pour que le communisme s'autodétruise. La réaction en chaîne que provoqua la chute du Mur de Berlin est venue très spontanément et trouva un écho auprès de millions de gens. Une des raisons est que le régime communiste n’était devenu, à bien des égards, qu'une coquille vide. Dans la phase finale du communisme, pratiquement plus personne ne croyait aux piliers de la doctrine marxiste, tant ceux-ci étaient éloignés de la réalité.
Nous ne devons pas oublier, et en particulier à l'Ouest, que la plupart des observateurs de l'époque prévoyaient que la fin du communisme allait provoquer chaos, désordre ou guerres civiles. Comme nous le savons, cela n'est pas arrivé. Même en Union soviétique, où le communisme a tragiquement duré plus de sept décennies, le système prit fin sans trop de violence. Chacun d'entre nous qui avait lu, à la fin des années 1960, L'Union soviétique survivra-t-elle après 1984 ? d'Andrei Amalric, s'attendaient à des événements beaucoup plus dramatiques. Le court incident d'août 1991 dans le centre de Moscou n'est pas dramatique en comparaison de la fin d’autres grands empires de l'histoire. Cette chute « anodine » a surtout montré la faiblesse et la vulnérabilité inhérentes du communisme de l'époque. Cette déclaration de ma part n'est pas en contradiction avec l'incontestable violence et puissance militaire de l'Union soviétique. Les autres facteurs s'avérèrent simplement plus importants. Le software étant, comme toujours, plus important que le hardware.
C’est pourquoi il est tout aussi important de se pencher sur le déroulement de ces 25 dernières années, et non seulement sur les événements de novembre 1989. Nous devrions nous intéresser à ce que ces événements ont permis, ont rendu possible et ce que nous en avons fait depuis lors. Permettez-moi brièvement de vous parler du développement de mon pays. Je vais aussi ajouter quelques mots sur les pays de l’Ouest qui ont eu le luxe de ne pas être tombés dans le piège communiste.
Malgré toute ma critique sur divers détails du développement de mon pays, que j'ai suivi en permanence, tant en ma qualité de citoyen que d'ancien politique, je dois reconnaître que la transition post-communiste (ou plutôt la « transformation ») a été un véritable succès. La critique sur certains aspects spécifiques est sans doute justifiée et bienvenue, mais le bilan global positif est indéniable.
Dans mon pays, nous avons été assez rapidement en mesure d'établir la structure institutionnelle d'une démocratie parlementaire. Les partis politiques se sont très tôt positionnés idéologiquement. Nous n'avions pas à nous reposer sur des groupes ou des mouvements politiques improvisés, qui n'étaient que pour ou contre quelque chose ou quelqu'un. L’orientation claire des différents partis fut un avantage important, un facteur déterminant de la réussite des premiers stades de la transition. Cette expérience nous enseigne qu’il n’est pas nécessaire de « construire » un système politique. Il suffisait, selon la terminologie économique, d'ouvrir le marché politique. C’était amplement suffisant.
Cette structure politique favorable, qui amena naturellement tous les types de conflits politiques habituels, dura jusqu'à la fin de la dernière décennie et se termina lors de l'éclatement de la crise financière et économique (qui a été, dans notre cas, entièrement importée). Depuis, nous assistons à un tournant dans les tendances politiques. Il ne s'agit pas seulement d'un changement de rôle à droite et à gauche de l’échiquier politique, mais aussi du début de l’affaiblissement de la politique standard et le passage à une ère post-politique. Nous assistons à des arrangements des partis politiques pour la défense de projets politiques ad hoc fondés davantage sur le marketing que sur les idées, ou l'appartenance à un parti plutôt que sur des orientations ou des principes concrets. Je ne crois pas décrire uniquement la réalité tchèque. Je crains que ce ne soit une tendance générale.
Cela n'est pas seulement une conséquence de la crise économique. La crise a simplement accéléré ce processus. C'est le résultat d'un affaiblissement de plus en plus poussé des démocraties, de l’affaiblissement des États-nations dans l'Union européenne et du renforcement de la « gouvernance mondiale ». C'est le résultat de la substitution progressive des valeurs européennes et occidentales traditionnelles par des normes politiquement correctes sur la base de nouveaux « ismes » comme le relativisme culturel, l'écologisme, le genrisme, le droits-de-l'hommisme, etc., qui s’inscrivent contre la culture véritable et les droits individuels authentiques, comme la liberté et la propriété. La démocratie politique classique, l’État de droit, sont, je le crains, déjà dépassés.
Dans le domaine économique, nous avons organisé un changement rapide dans le système. Nous avons annoncé très tôt que nous désirions nous rattacher au capitalisme, à l’économie de marché. Nous avons résisté à tous les rêves d’une « troisième voie » hypothétique, qui aurait permis une combinaison des différents systèmes économiques et politiques.
Nous estimions que nous devions être très pragmatiques. Nous savions que la transformation économique ne serait pas un exercice d'économie appliquée et que toutes les théories de « séquençage optimal des mesures de réforme », si populaire parmi les théoriciens de l'économie avant la chute du communisme, n'étaient pas pertinentes. Le processus de transformation était inévitablement un mélange ad hoc de constructivisme et d'évolution spontanée.
Nous voulions surtout éviter le maintien du statu quo. Nous voulions absolument empêcher que les groupes d'intérêts qui bénéficiaient de la situation préalable freinent le changement. Ceci a renforcé notre position contre toutes les versions de gradualisme, que nous considérions comme des non-réformes. Nous n'avons pas cru à la politique des petits pas et au fait qu'elle aurait été une stratégie de réforme viable. Nous avons reconnu que le concept de « thérapie de choc » était à la fois une approche utile pour les réformes, également en raison de la réalité pratique de notre pays. Nous avons néanmoins refusé le dilemme théorique de la « thérapie de choc contre le gradualisme » qui est encore exposé aujourd'hui dans la littérature économique et présenté comme l'affrontement d'alternatives concurrentes. Le terme « thérapie de choc » n'est pas un concept analytique. C'est un terme utilisé comme attaque politique contre les réformes de libre marché par les économistes socialistes comme Joseph Stiglitz.
Nous savions que le projet de transformation relevait de notre responsabilité et de notre mise en œuvre. Il devait être construit à partir de notre réalité et de nos idées. Nous ne cherchions ni le soutien des institutions internationales, ni l’extension de notre modèle à d'autres États à travers le monde. Nous avons poursuivi notre propre voie « tchèque », nous avons essayé de donner aux citoyens la chance d'être des participants actifs de cette transition et de ne plus être des observateurs passifs du changement.
Nous avons par ailleurs constaté que les réformes économiques et politiques étaient interconnectées et indivisibles. La séparation des réformes, comme l'a fait la Chine, était impossible en Europe de l'Est. Le concept irréaliste de gradualisme se fonde sur la croyance en la possibilité d'un contrôle détaillé des réformes. Cependant, cela n’aurait été possible qu'en l'absence de liberté politique, ce qui n'était pas notre cas.
La partie cruciale du processus était le passage à la privatisation généralisée de l’économie. Elle a été fondée sur plusieurs idées qui méritent d'être relevées :
- notre objectif était de privatiser toutes les entreprises publiques existantes et de permettre également la création de nouvelles entreprises ;
- nous avons trouvé que la privatisation rapide était la meilleure manière de rendre les entreprises publiques efficientes (nous n'avons pas cru en la capacité de l'État de concrétiser réellement la restructuration de ces entreprises) ;
- la privatisation des entreprises commerciales ne pouvait pas attendre l'achèvement de la privatisation des banques : cela devait être fait en parallèle ;
- en raison de l’absence de marchés des capitaux nationaux (au sein du régime communiste il n'y avait absolument aucun marché de capitaux) et en raison du nombre très limité d'investisseurs étrangers potentiels, les entreprises devaient être privatisées à bas prix. Cette idée nous a conduits à la notion de « privatisation par coupons » qui a joué un rôle important dans notre pays, sans être dominant, et qui est très souvent mal compris. Seulement un quart de la privatisation tchèque a été mis en œuvre par la privatisation par coupons.
De tous les États communistes, nous avions le plus petit secteur privé, ce qui était dû à l'agressivité de la prise de pouvoir communiste en février 1948, ainsi qu’à l'absence de changements économiques réformistes après les événements de 1968. Dès le début, les réformateurs tchèques savaient qu'ils devaient privatiser le plus tôt et le plus rapidement possible leur économie. Nous n'avions pas envie de démarrer sur une inévitable phase de pré-privatisation durant laquelle les entreprises à privatiser auraient rapidement perdu leur valeur. Pour cette raison, nous n'avions pas beaucoup d'intérêt à maximiser les recettes des privatisations. La vitesse élevée de la privatisation (et non le montant des recettes de ces ventes) a été considérée comme un avantage plutôt qu'une erreur.
Nous avons rapidement libéralisé, déréglementé et supprimé les subventions des industries. Cette libéralisation a duré, à notre grand regret, seulement une partie des 25 dernières années. Ceci est principalement dû à une perte de l'élan réformateur pour des raisons de politique intérieure. Mais c'est surtout suite à notre adhésion à l'UE que nous avons inversé la tendance. Aujourd'hui, notre économie est bien plus réglementée et subventionnée (et « harmonisée » ou « standardisée »), qu'il y a 10 ou 15 ans. Le coup final est venu avec la récente crise économique et financière et par la mise en place du « traitement médical » basé sur l'interventionnisme d'État.
Quoi qu’il en soit, notre économie – et pas seulement la nôtre – est aujourd’hui plus réglementée et subventionnée que nous n'aurions pu l'imaginer au moment de la chute du communisme. Nous ne pensions pas que nous pourrions de nouveau en arriver là. Il nous semblait que la réglementation étatique de l'économie avait été discréditée par l'expérience et les faits. Nous pensions que les préceptes du socialisme ne pourraient plus jamais prévaloir. Nous avions tort.
Nous avions également supposé que tout le monde avait compris que les défaillances des États étaient beaucoup plus profondes et graves que n'importe quelles défaillances des marchés. Nous pensions qu'il était clair que la main visible de l'État était beaucoup plus dangereuse que la main invisible du marché, qui ne traduit que des transactions individuelles volontaires. Nous pensions qu'il était désormais évident qu'un appareil économique vertical, dont les ordres sont transmis du haut vers le bas, était clairement improductif et moins démocratique. Mais là aussi nous avons eu tort.
Je m'attendais à vivre dans une société démocratique et économique beaucoup plus libre que celle que je vois actuellement. Cela est dû en partie à la victoire de la social-démocratie dans notre pays et en partie à l'importation d'un système économique européen caractérisé par la surréglementation, des impôts élevés, une politique redistributionniste et une philosophie de l'État-providence fascinée par toutes sortes d'arguments anti-marché. Nous sommes particulièrement sensibles à ces faits en raison de notre longue expérience du communisme. Nous constatons cependant, à l'heure actuelle, les mêmes phénomènes, les mêmes tendances et les mêmes luttes et aspirations que sous le socialisme.
Cela signifie que nous n'avons rien appris de l'histoire et de l'ère communiste. Cela signifie qu'aujourd'hui, nous ne pouvons réellement fêter la chute du communisme. Il sera de retour sous une autre forme, sous d'autres bannières et d'autres slogans. Et nous devons nous engager là-contre avec la plus grande détermination.
Václav Klaus était président de la République tchèq Václav Klaus ue de 2003 à 2013, précédemment ministre des Finances puis premier ministre. Il est économiste et membre de la Société du Mont Pèlerin.
Discours prononcé lors de la soirée de gala «Le triomphe de la liberté individuelle», le 31 octobre 2014 à Berlin.
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